Pas de correction sans connexion ? S’agit-il ici de corriger des copies dématérialisées au moyen d’une technologie révolutionnaire et connectée ? Ferait-elle même, dans le futur, cours à ma place les matins où j’ai du mal à me lever !? Ah, si seulement !
Permettez moi de laisser le futur à sa place, pour vous parler plutôt de cette formule qui revient souvent, quand on parle éducation, sur le web anglophone : “Connect before you correct”. En substance, elle signifie qu’il faut d’abord créer un lien avec une personne si on espère pouvoir la corriger sur quelque chose : pas de correction sans connexion !
La première fois que je l’ai lue, je l’ai écartée comme irréaliste : fallait-il connaître chaque détail de la vie personnelle de mes élèves si j’attendais quelque progrès de leur part ? Je ne voyais pas comment, avec environ 300 d’entre eux qui défilent dans ma classe chaque semaine, cela était humainement possible. Mais je m’étais trompée sur l’interprétation de cette expression.
Connect before you correct : pas de correction sans un minimum de connexion...
Il fallait y voir une stratégie beaucoup moins ambitieuse mais néanmoins redoutable. Et j’ai repéré que je l’utilisais déjà par moments :
- Sans : “Mets toi en rang, ça a sonné !”
- Avec : “Bonjour ! Mets toi en rang, s’il-te-plaît, ça a sonné !”
- Sans : “Tu n’as pas levé la main pour avoir la parole.”
- Avec : “Marie-Impulsive, c’est bien de vouloir participer. Je te rappelle qu’il faut lever la main pour avoir la parole.”
- Sans : “Tu as passé ton heure à bavarder, tu es vraiment pénible, tu es puni !”
- Avec : “Que penses-tu de ton comportement pendant l’heure, Jean-Saoûlant ?”
Voilà comment on peut comprendre, simplement, le mot “connexion” : saluer, sourire, nommer, valider la bonne intention qui a engendré le comportement inapproprié, proposer de réfléchir au lieu de subir, indiquer que ce qui ne va pas c’est l’attitude et non la personnalité intrinsèque de l’élève…
Cela ne demande guère d’effort de notre part, pas d’investissement démesuré en temps et pourtant, quel impact ! D’ailleurs, comme mes élèves, je serai plus apte à entendre des reproches s’ils sont formulés par une personne que j’estime bienveillante !
Désormais, j’essaie donc d’être absolument systématique sur l’utilisation de ces formules quand je reprends un élève.
… mais cela marche encore mieux avec une bonne connexion !
Une fois que j’ai eu compris ce mécanisme, il ne restait plus qu’à extrapoler : plus je vais demander d’efforts à un élève, plus je vais devoir travailler la qualité de la relation.
Je me souviens d’une conversation avec une collègue qui avait formulé la chose de façon très pertinente : “Plus les élèves sont difficiles, plus il faut être polis avec eux. C’est eux qui en ont le plus besoin.”
Souvent, cela semble anti-naturel : Jean-Horripilant, c’est précisément l’élève avec lequel je n’ai pas spontanément envie d’être agréable et polie. Et pourtant, c’est tellement efficace que le jeu en vaut la chandelle. Alors comment m’y prendre pour établir une bonne relation avec ce genre de personnage ?
- Je lui parle toujours calmement et poliment. Je suis l’adulte, c’est à moi de montrer ce qui est attendu : en l’occurrence, du respect. Ceci ne signifie pas que je vais tout laisser passer : “Marie-Toupie, je ne suis pas d’accord pour que tu tournes pour parler à Jean-Ken. Je vais te demander de te retourner s’il-te-plait.” Bien entendu, je n’oublie pas de dire “Merci !” si Marie-Toupie fait ce que je lui demande.
- J’essaie d’être la plus discrète possible quand je reprends Jean-Déphasé pour la 10ème fois de l’heure. Personne n’aime qu’on pointe publiquement ses faiblesses. Alors, quand je vois que malgré ses efforts, il décroche encore, je lui chuchote : “On est en train de coller le document… On est en train de faire l’exercice 12… On est en train de corriger la question 4.” Si, après un moment, je le sanctionne pour trop de mauvaise volonté, il ne pourra qu’admettre que j’ai d’abord cherché à l’aider.
- En cas d’altercation, je laisse toujours à l’élève la possibilité de présenter son point de vue. “Alors, Marie-Prétexte, explique moi ce qu’il s’est passé ? Pourquoi ton travail n’était pas fait ?” ou encore “Dis-moi, Jean-Bougeotte, j’ai eu l’impression que tu bousculais Marie-Chahut dans le rang. Est-ce que j’ai mal vu ?” Parfois, c’est carrément moi qui me trompe. Après tout, l’erreur est humaine ! Parfois, un malentendu sera dissipé. Mais pour autant, cela ne signifie pas que les élèves ne seront pas sanctionnés si je le juge pertinent et nécessaire pour les amener à modifier un comportement. Simplement, la phase de connexion aura précédé la phase de correction.
Pour conclure, j’ajouterais que la connexion telle que je l’avais comprise initialement, celle qui demande vraiment un investissement personnel, n’est évidemment pas à proscrire. Passer quelques minutes à discuter de manière informelle avec un élève, s’intéresser à ses goûts, lui poser quelques questions si on lui trouve l’air abattu, tout ceci viendra en bonus ! Ainsi, peut-être, au détour d’une connexion exceptionnelle, entendrez-vous votre Marie-Hostile dire de vous : “Wouaaou, ce prof, il me capte trop !“
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