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Gestion du frat’ brat ou enfant-roi

Aujourd’hui, j’ai envie de parler d’un profil d’élèves que j’appelle pour plaisanter le “frat’ brat”.

Cette expression que j’ai lue ici et là sur le web désigne en principe un étudiant américain, membre d’une fraternité, qui est un snobinard égoïste et gâté. D’autres pourraient les appeler enfant-roi, par exemple. Je sais que tout le monde voit de quel type d’élèves je parle.

Evidemment, aucun de mes élèves ne correspond vraiment à ce cliché dévalorisant. Ils peuvent avoir des comportements qui s’en rapprochent mais cela ne signifie rien par rapport à qui ils sont et à leur valeur en tant que personne. Le but de l’article est de décrire comment reconnaître les élèves dont le comportement s’apparente à ce profil et comment les faire réussir. J’insiste là-dessus car c’est un profil qui soulève les passions dans les salles des professeurs. Moi-même, je prends garde à rester professionnelle malgré le mouvement de recul que ça m’inspire a priori. J’essaie de ne pas perdre de vue que sous les attitudes, il y a juste un jeune qui a besoin comme les autres de progresser.

Comment reconnaître un élève qui fait le frat’ brat ?

Il manifeste par son attitude un sentiment de supériorité. Il a un petit air toujours hautain, méprisant surtout envers les adultes.

Le travail et les efforts, il ne les fera que s’il y est obligé. J’expliquerai après comment on arrive à cela.

Il peut être très insolent, faire des remarques provocantes.

Il peut être couvert par ses parents qui pensent avoir raison contre le prof.

Il peut diriger une mutinerie dans la classe s’il sent le prof fragile.

Il a un gros ego et ne fera rien qui nuise à son orgueil, en particulier devant témoins.

Il a envie qu’on le laisse tranquille : cela inclut avoir un niveau scolaire suffisant pour que ses parents/ses profs ne soient pas sur son dos. Il peut aussi parfois être en refus de travail et en échec. Attitude “Je suis trop bien pour eux. Je ne leur dois rien.”

Comment gérer l’élève qui fait le frat’ brat ?

Je reste toujours très factuelle avec cet élève et je déplace les enjeux de moi vers lui.

Au lieu de : “Mets-toi au travail !”
je préfère : “Tu as un objectif pour cette année, voici la tâche que tu dois réaliser pour l’atteindre.”
Ainsi je ne lui donne pas prise pour refuser mon autorité, je place le projecteur sur lui et sur ses intérêts personnels.

Je fais semblant de ne rien voir quand il agit de façon limite. Je surjoue la gentillesse. Je lui propose de l’aide plutôt que de la contrainte.

Au lieu de : “Tu te fiches de moi ? Tu n’as pas encore commencé ton travail alors que je l’ai donné il y a 5 minutes !”
je préfère : “Jean-Méprisant, je vois que tu n’as pas commencé ton travail, as-tu besoin d’aide ?”
Le reprendre violemment devant tout le monde entraînerait nécessairement un conflit et une escalade devant la classe. Je lui propose une porte de sortie honorable avant d’avoir à sévir. Je pourrais sinon me décrédibiliser et finalement échouer à le mettre au travail et à gérer son comportement. Le frat’ brat est souvent déstabilisé d’être abordé sous l’angle de l’aide et n’entre pas en conflit quand je présente les choses dans son intérêt.

Je reporte les discussions tendues en fin de séance.

Au lieu de : “Tu te prends pour qui ? Tu vas avoir une heure de colle si tu me parles sur ce ton !”
Je préfère : “Marie-Snobinarde, vu ce qu’il vient de se passer, nous devons trouver ensemble une solution. Je t’attends à mon bureau à la fin de l’heure.”
Cela permet de montrer à la classe que je vais gérer le problème, que ça ne passe pas. En même temps, je calme l’ambiance en n’escaladant pas le conflit. Cela préserve aussi le mystère sur ce que je vais décider en fin de séance. Cela laisse le temps à Marie-Snobinarde de réfléchir. Les élèves vont trouver que je gère bien le problème parce qu’il ne déborde pas sur le cours. Je ne me donne pas en spectacle, en évitant de perdre la face dans le rapport de force.

Je discute du problème avec l’élève avec sincérité et je l’inclus dans la solution.

Pendant l’entretien de fin de séance, je commence par laisser s’exprimer l’élève. Cela se passe dans de meilleures conditions que devant la classe car il n’y a pas d’enjeu d’ego devant les camarades. Il peut refuser au départ s’il est toujours en colère ou s’il est encore dans le rapport de force. Il faut prendre le temps nécessaire pour arriver à lui faire admettre ce qui a déclenché l’incident. (incompréhension, attitude inadaptée, sentiment d’injustice,…)

Je lui explique à mon tour mon point de vue, toujours très factuellement.

Au lieu de : “Tu as été très insolent, je vais te coller.”
Je préfère : “Dans ma classe, je souhaite que tous mes élèves réussissent dans les meilleures conditions possibles. Le comportement que tu as eu ne permet pas d’avoir les bonnes conditions de travail et casse la confiance qui est nécessaire entre nous. Je vais devoir marquer la limite avec toi.”

En général, l’élève connaît déjà très bien les règles, il a eu le temps de réfléchir pendant la séance, il sait qu’il a exagéré. J’obtiens des excuses si je me montre vraiment sincère.

Cette façon de procéder responsabilise l’élève et ça me rend plus humaine à ses yeux. L’autre avantage, c’est qu’un entretien réussi évite de se retrouver avec des parents mécontents dans la boucle. C’est un vrai risque avec un frat’ brat. S’il est arrivé à comprendre mon point de vue et à avancer, il ne se plaint jamais à ses parents, même quand je l’ai puni.

Le frat’ brat nécessite souvent quelques interventions très tôt au début de l’année. En général, quand il a compris qui je suis et quelles sont mes intentions (bonnes évidemment !), il n’a plus besoin de rentrer dans la provocation et le reste de l’année se passe bien avec lui. A noter qu’il peut avoir une “rechute” au cours de l’année, les mêmes stratégies s’appliqueront alors.

Exemple concret de gestion d’un frat’ brat :

Jean-Lacoste a sali sa table avec de l’encre. Je veux évidemment obtenir qu’il la nettoie lui-même.

Je l’ai identifié comme frat’ brat donc je m’attends à :
– sentiment d’humiliation si la classe entend ma demande
-envie de se rebeller et rapport de force devant les autres
-refus catégorique
-échec de gestion de classe public de ma part
-conséquences négatives pour tout le groupe si je ne suis plus capitaine à bord du vaisseau

Je décide donc de :
Poser le produit nettoyant et le chiffon sur sa table sans rien dire. Je m’en vais et surtout je ne regarde PAS DU TOUT dans sa direction. Il ne doit pas pouvoir fuir le problème en m’attaquant. Il doit avoir l’impression que je suis sûre qu’il va régler la situation sans même que j’intervienne. Je montre que j’ai confiance en lui par défaut pour faire le bon choix. Même et surtout si ce n’est pas le cas !

Effet obtenu :

Il fait semblant de ne pas comprendre. Les trois élèves qui sont autour de lui disent immédiatement : « C’est pour que tu nettoies ! ».

Venant de ses pairs en nombre réduit, il accepte de dépasser son blocage et de sortir de l’impasse. Il nettoie tout. Je passe quelques minutes plus tard pour récupérer le produit sans rien dire et sans spécialement le regarder.

Et il n’a plus jamais sali sa table de l’année. Cela a fonctionné parce que je lui ai proposé une porte de sortie qui a préservé son ego.

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